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Grec frites - La porte St Denis à Paris

Grec frites - La porte St Denis à Paris

Le 18/09/2009 à 10h56 - Chroniques du Kebab

Peut-être que tout cela est vain. Peut-être faut-il savoir, parfois, accepter que finalement la finalité des choses nous demeurera à jamais inconnue. Il en est ainsi de tout ce qui échappe à notre compréhension immédiate. Des petits gestes quotidiens, que l’on effectue sans en comprendre la raison, des pensées absurdes qui nous viennent en tête… Tous ces petits riens qui parsèment nos existences, la rendant plus aléatoire chaque jour.

Parmi lesquels…

Les films de Roland Emmerich.
Les femmes.
Le mode slumber de mon radio-réveil.
Ken Kutaragi dans sa grande époque.
Les tarés sur youtube qui font et défont des Rubiks Cube en quelques secondes avec les pieds.
Les voitures qui klaxonnent dans une rue bouchée de tous les côtés.
La saison IV de Supercopter.
Demis Roussos
Davilex (vous chercherez).
Les Kebabs de La Porte Saint-Denis.

Ceci est l’histoire de l’improbable.
Ceci est l’histoire de ce qui arrive, parfois, quand on s’abstient de vouloir comprendre.

Il faisait beau, ce vendredi midi. Le veau grillé parfumait la rue du Faubourg St-Denis, annonciatrice d’un week-end qui serait détente et repos. Les âmes passantes se laissaient glisser au fil des trottoirs, goûtant la joie d’être en vie et de .
L’atmosphère était douce, le temps clément… J’ai regardé mon collègue. Il m’a regardé. L’échange fut long et intense, comme une promesse de caresse et paresse au terme d’une histoire de fesse le soir de la kermesse.
Du même élan et au passé simple, nous nous levâmes de notre dur labeur et décidâmes d’aller nous restaurer. Nous descendîmes la rue, reniflâmes les fumets, fumâmes les reniflets, et nous approchâmes à petit pas de l’inévitable Délice Dégustation, toujours victime de fermeture. Nous écrasâmes une inutile larme, tentâmes de regarder sous le rideau de fer, et nous résignâmes à quitter le passé simple pour d’autres temps, plus cléments.

Mais autant l’avouer, nous savions déjà que notre destination était toute autre. Car l’objectivité est notre fer de lance de la même manière que le kebab est notre sacerdoce. Et il était injuste de commenter un sandwich dégusté en extérieur SANS laisser la chance au veau grillé de s’exprimer dans son cadre naturel, c'est-à-dire à l’intérieur du restaurant.
Alors, nous décidâmes… avons décidé de tenter le tout pour le tout. Franchir à nouveau la porte de la Porte Saint-Denis (même si en vrai y’en a pas, de porte) et confirmer ou ravaler nos griefs précédents.

Premières impressions identiques : porte étroite, légumes bien rangés, regard ambigu du cuistot.
Grec-salade-sauce blanche pour moi.

Oui.

Vous avez bien lu.

« Sauce blanche ». Mon collègue me regarde avec un soupçon de panique. Il m’étreint le bras. « Sauce blanche ». Il doute, il vacille, il se dit que j’ai perdu la raison. La sauce blanche. LA fameuse Blayonnaise de la semaine dernière !!! Le truc infâme qu’on dirait tout droit sorti du sachet plastique du KFC estampillé Amora.
Mais je suis un fou et j’assume. On fait les choses ou on ne les fait pas. Je VEUX reprendre le même sandwich. Je VEUX son clone, pour pouvoir déclarer la guerre.
Et j’irai jusqu’au bout.
Je ne suis plus dans le culinaire mais dans l’expérience scientifique.

Le personnel est très gentil avec nous, nous demande de nous installer. La salle est petite et pas très pratique, mais nous arrivons à trouver une petite table. La carafe d’eau, vaillante, nous guette de toute sa splendeur métallique.

Nos plateaux arrivent. Mon sandwich surgit ! Première déception : la quantité de frites me semble assez chiche pour un kebab (ah ah). Je me console en me disant qu’elles vont être aussi dégueulasses que la dernière fois, et qu’il est donc inutile d’en servir des louches pour les laisser mourir, tristement, sur un plateau.
Le sandwich, lui, est bien fourni, et dégage un fumet réellement appétissant. Un morceau de viande est tombé sur le plateau, je le goûte… et OUI, la viande est savoureuse et surtout… « parfumée ». Je ne sais pas comment le dire autrement. La viande dégage une saveur de grillade qui me scotche sur ma chaise. Comment vous dire autrement ? C’est… « Bon ». Vraiment bon. Rien à dire. La viande de ce restaurant est bonne, et je le clame haut et fort et je mâche consciencieusement. C’est vraiment particulier, une vraie saveur de grillé. Je rêve secrètement de revenir déguster la viande qui aurait tourné quelques minutes de plus sur la broche, pour qu’elle soit encore un peu plus croustillante. J’avais apprécié la viande la première fois, cette seconde dégustation est tout simplement succulente.
Troublé, je jette un regard en coin vers le petit tas de sauce qui m’attend sur le plateau. Sauce « blanche ». La blayonnaise, désormais légendaire.
Je trempe un morceau de viande. Et.
Eeeeeeeet.

C’est meilleur.
Je n’y peux rien. Je suis le premier surpris. La sauce blanche est MEILLEURE que la dernière fois. En fait, la texture de la mayonnaise est toujours présente, mais beaucoup mieux dosée ! Du coup, on sent bien plus les fines herbes et le côté Bénédicta s’estompe largement. Ca n’est pas un régal, hein, mais ça devient vraiment très acceptable.
Du coup, mes certitudes s’effondrent. ET SI ? ET SI je m’étais trompé ? ET SI cette seconde expérience était la preuve que toute assurance est vaine ?

Je tiens une frite dans ma main. Je doute.

Parce que si la frite est BONNE, si elle est MEILLEURE, alors tout sera à jamais remis en cause. Toutes ces critiques, toutes ces chroniques, à quoi vont-elles désormais servir si nos impressions changent du tout au tout d’un jour sur l’autre ? A quoi va-t-on pouvoir croire ?
Je regarde ma frite dans les yeux. Elle me fait peur. Tout ce en quoi je peux croire, toute ma vision du monde, dépendent de ce petit morceau de patate qui s’apprête à visiter ma bouche.
S’il est mauvais, le monde sera ce qu’il doit être. Equilibré. Logique. Rationnel.
Si la frite est bonne, tout ce en quoi je crois, tout ce en quoi j’ai pu croire, n’aurai finalement servi à rien. Et je me dirai alors que le BiBop est le téléphone du futur, que le HD-DVD va enfoncer le Blu-Ray, que Michael Bay est le nouveau Woody Allen et que la Jaguar va revenir détrôner la XBOX 360.

Le temps s’arrête. Je tiens, du bout des doigts, l’innocent morceau de pomme de terre. Je crois que j’ai peur. Je sens le sol s’effondrer sous mes pieds, comme si la réalité était en train de fondre.
Je respire. J’approche la frite de mes lèvres.
J’ai peur. Ma vie est en suspens. Est-ce que je vais devoir devenir fan de Luc Besson ? Est-ce que je vais partir en vacances à Ibiza m’éclater avecles djeun’s ? Est-ce que j’ai pu me tromper à ce point sur toute mon existence ?

La frite est dans ma bouche, brûlante.

La sanction est immédiate…

Elle est meilleure.

Pas Bonne, mais Meilleure. Lorsque nous avions mangé en extérieur, le problème de l’effet de condensation du carton, soulevé par mes collègues, est finalement exact. La vapeur d’eau dégagée par le sandwich imbibe les frites et amplifie leur caractère spongieux. Donc on ne peut juger de la qualité réelle d’un sandwich qu’en le dégustant sur place.

En ce qui me concerne, je picore mes frites. Pas grasses mais sans saveur, elles ont quitté la lie des pommes de terre pour s’inscrire dans une insipide moyenne. Je ne sais plus ce que je dois penser.

Je dévore mon sandwich, alternant viande et frites, avec un plaisir non feint. Le parfum de la viande (doit y avoir de la drogue dedans) alterné avec des frites sans génie mais moins inacceptables que la dernière fois, crée un sandwich réellement savoureux, et je ne boude pas mon plaisir.

Et tout à coup, c’est l’accident.

Un petit trou s’est formé dans la surface du pain Pita, et la sauce blanche s’y est infiltrée. Une goutte de sauce s’échappe du sandwich et s’écrase tristement sur… ma chemise !!
Aaaaarrgggghhhh…

Mais le sandwich est trop bon et je passe outre ! Drogué, ivre de veau grillé, je déguste et je me régale jusqu’à la dernière miette.

Rien à dire, rien à faire, j’ai pris une VRAIE leçon aujourd’hui. La frite kebabienne ne se transporte pas. Une évidence pour certains, une découverte pour moi.
Intérieurement je tremble : le Délice Dégustation va rouvrir dans quelques jours… saura t-il soutenir la comparaison ?

J’ai peur.

Pour l’anecdote, une heure plus tard, je suis au bureau. J’ai l’estomac plein et je suis rassasié. MAIS le goût de la viande me manque. Je n'ai pas faim mais j'ai envie de ce goût, à la fois fumé et grillé. Je crois que je suis en manque.
Alors je m’interroge :
« Qu’est-ce qu’il avait bien pu manger, ce veau ? »