Réflexion sur le kebab : "Souvenirs carnés"

Le 12/10/2011 à 13h44 - Infos Kebab

Texte proposé par gustokebab, rédacteur invité.

Soyons modestes, c'est une vaine gageure que de vouloir établir un classement, une top liste des meilleurs établissements de kebab de France et de Navarre. Il n'y a rien de plus subjectif que le critère gustatif préfigurant qu'il y ait une unité et une uniformité du goût ce qui heureusement n'est pas le cas. Comparer c'est altérer, et comparaison n'est point raison...

Qu'est ce qu'un kebab, et qu'est ce qu'un bon kebab ?
Vaste topique mais l'histoire culinaire nous apporte quelques pistes de lecture : le döner kebab (assimilé au kebab) est d'un point de vue sémantique une viande rôtie sur une broche tournante (kebap = rôti, döner = qui tourne). Au départ, en Turquie, son berceau ( désolé pour les grecs et leur gyros qui en revendiquent également la paternité, hélas, Turkey 1 Hellas 0), la viande était du mouton et de l'agneau, ensuite est venu le boeuf, et nous en France nous ne connaissons malheureusement que trop souvent la version économique, avec de la volaille de dinde. En s'installant en France on a perdu en qualité sur tous les tableaux. Quand en France on est passé au sacro-saint triptyque de la garniture ("salade tomate oignon"), voyez ce qui se fait en Allemagne pays de la diaspora turque (avec du chou, etc...) et en Turquie pour saisir toute la différence. Quand je parle de Turquie je fais un abus de langage car une majorité des kebab turcs sont en fait tenus par des kurdes qui ont émigré et monté leur propre commerce. C'est le même type de comparaison qu'on pourrait faire avec l'ensemble de l'offre de la cuisine indienne exportée dans le monde, qui en fait ne correspond qu'à l'identité culinaire de la région du Penjab, occultant toute une richesse d'autres cultures indiennes, au mieux méconnues, au pire totalement inconnue (qui connait réellement l'identité de la cuisine du Kerala?).

Kebab-Frites.com doit à mon sens être un prétexte pour ne pas se cantonner à être fidèle à son kebab de quartier, mais etre curieux de goût, de sens, de sensation et même si on est déçu de l'inconnu, et bien c'est pas grave, on ira pousser une autre porte ailleurs...

Manger un kebab, c'est voyager pour pas cher, c'est mieux qu'Easyjet et Ryan Air réunis, pour 5 euros vous vous payez Istanbul, la mosquée sainte Sophie, la Cappadoce réunis. Manger c'est partager, communier, c'est une invitation au voyage. C'est une petite madeleine de Proust, un goût lancinant qui vous reste en bouche et ce, des années plus tard... un chachlik pris sur un marché caucasien près de Loujniki à Moscou, ou bien un asado gargantuesque partagé dans le quartier de la recolleta à Buenos Aires... et oui malgré les années mes papilles s'en souviennent encore.

Mais il n'y a pas besoin de faire des kilomètres pour trouver son bonheur. Mon meilleur döner kebap, c'est un goût indescriptible d'une époque mythique où mon père faisait des méchouis : une viande à la broche cuite à coté d'un tapis de braise. La cuisson se fait à la chaleur et non pas à la flamme, pendant 7 heures, avec l'excès de gras qui s'écoule tel une cure forcée de hammam, la peau craquante réhydratée au torchon par une sauce secrète qui donne un brin de mystère à cette initiation gustative au caractère mystique, un morceau de viande coupé dans les parties tendres du dos et déposé sur une tranche de pain de campagne. Pas de sauce samourai-mayo-ketchup ou de garniture étouffe-chrétien qui vienne maquiller et esbroufer le goût, non, juste le gras de la bête qui imbibe de gout la mie du pain et lui donne ses qualités intenses olfactives (car tout le monde sait que c'est le gras qui donne du goût - pour faire pompeux, c'est le gras qui conserve les qualités organoleptiques des molécules lipidiques). Alors si on s'en tient à la définition du döner kebab (viande rôtie à la broche) par abus de langage, je dirais que le méchoui de mon père est bien le meilleur kebab qu'il m'ait été donné de manger !

Le meilleur kebab, c'est celui que l'on fait pour soi ou pour les siens. N'hésitez pas à les faire vous-même et quand bien même fussent-ils ratés ou pas totalement réussis, ils n'auront pas la même valeur pour vos proches, car le temps et l'application passée à les faire traduit au delà de la nourriture l'amour et l'attention portés à ceux qui vous sont chers.

On peut appliquer la règle des 3 B de Jean François Piège, chef étoilé au Michelin, : cela doit être Beau, Bon et donner du Bonheur... A l'époque de la mondialisation, de la malbouffe, et de l'uniformisation du goût, la cuisine doit rester avant tout, au delà des valeurs de partage et de transmission d'une culture, l'un des derniers lieux bastions d'une véritable culture identitaire.

Merci à gustokebab pour sa sympathique contribution !
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